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Femmes Callahays Chamanes - Foto par Oscar Ruiz

Mama Coca, une mère vengeresse

De l'usage de coca à l'abus de cocaïne
Est-ce que coca est cocaïne, après tout?
Face aux faits
Une évaluation honnête de la nécessité du changement

S'il est un produit en particulier qui définit l'Amérique du Sud, c’est certainement la feuille de coca. Mama Coca, comme elle est respectueusement appelée par les peuples indigènes qui la vénèrent pour sa qualité de redynamiser que donne la feuille à ses consommateurs. Les mythes la glorifient, mais ne manquent jamais de mentionner son côté vindicatif. Elle oblige quiconque qui abuse d’elle à gravir une montagne, d'où, intoxiquée par des sentiments de grandeur, cette personne va tomber aussi bas que la montagne qu’elle a grimpée était élevée. Il y a eu récemment beaucoup de discussions sur le respect pour la ‘feuille sacrée’, mais sous le vernis de la morale une guerre mondiale sur le contrôle du commerce de la cocaïne semble ignorer tous les aspects non-commerciaux, au détriment des usagers et producteurs traditionnels. Ou est-ce le contraire et interviendra l’esprit de Mama Coca pour protéger ses enfants fidèles et infliger aux iniques leur juste récompense?

De l'usage de coca à l'abus de cocaïne
De produit commercial le plus apprécié à l'époque pré-inca et de feuille sacrée des Incas dont elle a aidé les soldats à la conquête du continent, les ecclésiastiques espagnols accompagnant les conquistadores l’ont reconnu être la feuille-du-diable. Mais sans coca, les peuples indigènes ne savaient pas extraire l'argent de la Montagne Riche de Potosi et on donc conclut un accord avec le diable, au bonheur de tout le monde, sauf des Indiens qui mouraient prématurément d'épuisement.
Quelques décennies après que les guerres d'indépendance ont forcé les Espagnols à quitter l'Amérique du Sud, la cocaïne a été extrait de la feuille par des scientifiques allemands. Européens et Nord-Américains se sont ensuite disputé le contrôle du commerce de cet alcaloïde très populaire. Les Américains du Nord ont gagné, sous prétexte d'éradiquer la plante de la face de la terre, en réalité pour permettre à des groupes favorisés une part du monopole de son commerce, en échange de quoi ils devaient faire le sale boulot de l'Oncle Sam. Les bandes anti castristes en Floride, les contras Nicaraguayens et les organisations paramilitaires Colombiennes ne sont que quelques exemples de ces groupes criminels .

Il n'a pas fallu longtemps pour que les mouvements de guérilla de gauche en Colombie et au Pérou se sont rendus compte qu'ils pouvaient également financer leurs opérations avec le commerce de la cocaïne. Plus loin vers le sud, en Bolivie, la commercialisation de la coca a pris un chemin différent. Là, les Aymaras et les Quechuas démunies avaient quitté leurs montagnes dénudées de l’Altiplano et sont descendus des pentes orientales de la Cordillère des Andes pour coloniser les basses terres tropicales du département de Cochabamba, appelées le Chapare. Faisant la culture du riz, des fruits et des légumes pour leur subsistance, ils ont vite compris que la culture des feuilles de coca pour la fabrication de la cocaïne était la seule culture de rente sûre à leur disposition. Mais alors que les FARC, le Sendero Luminoso et d'autres organisations de guérilla n'ont jamais reconnu leur participation dans le commerce de la cocaïne, les cultivateurs Boliviens de coca, connu sous le nom de cocaleros, ont revendiqué leur droit inaliénable à cultiver la feuille de coca. C’était leur coutume ancestrale, partie intégrale de leur culture et aucun gringo avait le droit d'interdire son utilisation ou sa cultivation. Pour protester contre les programmes d'éradication sous commandement américain, les cocaleros ont transformé la feuille de coca dans le symbole du mouvement de libération des peuples andins opprimés. Ils ont utilisé aucune arme à feu; la résistance restait pacifique à partir du moment où il a commencé dans les années 1980, jusqu'au jour où le mouvement a pris le pouvoir au début de 2006, sous la direction du charismatique Evo Morales.

Est-ce que coca est cocaïne, après tout?
Peu après sa prise du pouvoir le nouveau président Morales a fait savoir qu'il ne voulait pas renoncer à la présidence des 6 fédérations des cocaleros du Chapare, l'organisation qui l'avait aidée à atteindre le sommet. C'était sa façon d'indiquer que, tout en étant président de la nation, il continuerait de défendre le droit de ses gens à cultiver la coca, parce que "coca n'est pas la cocaïne », même si les feuilles du Chapare ne servaient à rien d'autre que la production de la cocaïne. Ainsi, en brandissant publiquement la "sacrée" feuille de coca comme un médicament précieux, par opposition à l'aberration de la cocaïne "dont nous ne faisons pas part ", ses cocaleros ont continué à cultiver leurs feuilles pour précisément ce maudit produit à raison de plus de 21.000 tonnes par année, ou 94% de la production du Chapare. Une confrontation avec les Etats-Unis était inévitable, même s'il a fallu 2 ans avant que Morales a demandé à l'ambassadeur américain, Philip Goldberg, de quitter le pays. L'excuse était le fait que Goldberg avait parlé dans la ville orientale de Santa Cruz aux dirigeants de l'opposition, geste qualifié de «conspiration contre la démocratie» par le gouvernement Morales. Peu de temps après, la DEA à son tour a été ordonnée de quitter le pays : le moment était venu pour appliquer le modèle bolivien de contrôle de drogues. Ce que cela signifiait devenait évident au début de 2011, lorsque René Sanabria a été arrêté au Panama avec une cargaison de cocaïne et a été extradé de suite pour faire face à la justice aux États-Unis. Selon des documents de la justice américaine M. Sanabria était en charge d'un bureau spécial de contre-espionnage au ministère de l'Intérieur à La Paz, avec comme tâche la protection des expéditions de drogue et des cartels internationaux de la drogue .

Bien que la capture honteuse de M. Sanabria lui portait un sérieux coup, le gouvernement Morales connut des succès sur d'autres fronts. A sa demande, l'ONU a autorisé la Bolivie en Janvier 2013 de cultiver des feuilles de coca pour l’usage traditionnel parmi la population locale. Même si les Etats-Unis ont fait pression sans relâche contre ce statut d'exception de la Bolivie, à la fin seulement 15 pays-membres de l’Organe international de contrôle des stupéfiants ont voté contre elle, loin du nombre nécessaire de 61. Et pour autant que le marché de la cocaïne est concerné, la Bolivie a définitivement mis fin au monopole américain en commençant des pourparlers de haut niveau avec les autorités russes sur l'acquisition d'armes et la coopération dans les programmes de contrôle des drogues. Bien que l'objectif déclaré est l' élimination du trafic de cocaïne illégale, le véritable objectif est d'amener l'industrie lucrative de la coca pharmaceutique sous le contrôle exclusif de l'État bolivien. Idéalement, cela se ferait à travers les mécanismes de l’ONU. Des sources au sein du gouvernement bolivien estiment que ce processus peut prendre jusqu'à cinq ans. Pendant ce temps, les cultivateurs de coca du Chapare devront continuer à cultiver pour le marché illégal, une activité jusqu'ici rendue facile par l'absence totale de données fiables sur les besoins réels du marché pour la consommation traditionnelle.

Face aux faits
Cette absence d’information fut terminée avec la récente présentation, le 12 octobre 2013, d'une étude sur la portée nationale de la consommation traditionnelle du coca, attendue depuis longtemps. L'étude - commandée par l'UE, mais fait dans son intégralité par les agences gouvernementales boliviennes - présente un chiffre de 3 millions de consommateurs traditionnels, que des sources indépendantes prétendent être bien élevé. Selon la même étude, environ 14.000 hectares sont nécessaires pour fournir la quantité nécessaire de feuilles. Même si l'on accepte ces chiffres élevés, elles illustrent clairement qu’avec environ 30.000 hectares cultivés au pays, près de la moitié de la production nationale de la feuille est déviée vers le marché illégal. En tant que signataire des conventions des Nations Unies sur les stupéfiants, la Bolivie est obligée d'éradiquer activement les "surplus" coca. Mais au lieu d'éliminer les excédents, cultivés en grande partie par les cocaleros des six fédérations du Chapare - dont il est le chef, - Morales envoie les forces d’éradication dans les plus petites régions de cultivateurs de coca traditionnels. Ceux-ci sont reconnus par la loi, mais mal organisés et incapables de monter une défense appropriée de leurs droits. Le résultat bizarre, c'est que le gouvernement qui a fait accepter à la communauté internationale l'usage traditionnel de la coca, persécute maintenant des paysans traditionnels qui produisent légalement la feuille pour cette utilisation, tout en protégeant ces producteurs qu'elle prétend combattre. La société bolivienne, muselée, n’a osé que récemment admettre cette réalité. Elle demandera certainement davantage d’explications au gouvernement. Mais même si Morales arrive à vendre son double langage sur la coca comme partie intégrante de sa politique de nationalisation, il devra faire face aux conséquences d’avoir trompé la nation dès le moment qu’il est arrivé au pouvoir.

Une évaluation honnête de la nécessité du changement
En commandant cette étude, l'Union européenne a mis le gouvernement de Morales et son bastion politique dans une position inconfortable. Ce ne serait pas une vraie surprise de voir, dans un proche avenir, la Bolivie embrasser la Russie comme son partenaire privilégié dans le domaine du contrôle des drogues, à l'instar de nombreux autres pays latino-américains.  Les Européens ou les Nord-Américains ne peuvent pas grand’chose à ce sujet. C’est le prix à payer pour des décennies d’une politique dictatoriale de la part de Washington et de ses acolytes européens. Les Sud-Américains se sont plaints pendant une longue période de l'injustice des politiques de drogues, causée par l'appétit insatiable de ces substances dans les marchés du Nord, tout en mettant la responsabilité des politiques de répression sur les pays du Sud, pendant que Washington et ses partenaires se partagent le butin. Il se pourrait que les nouvelles réalités géopolitiques vont forcer les sociétés de consommation du Nord à lancer un débat sain sur les raisons profondes de la consommation de cocaïne et de son abus et de la nécessité de modifier l'approche répressive pour une politique mettant l'accent sur la santé publique et le respect des droits de l’homme.